Cela faisait un bon moment que je tournais autour de Spirale de Junji Itô. Je ne faisais que reculer devant l’imposante intégrale de 660 pages. Alors que depuis des années mon regard croisait des images extraites de ce manga d’épouvante et ses vortex énigmatiques, alors que j’ai eu l’occasion de voir l’exposition consacrée à son auteur au Festival International de la BD en janvier 2023, je n’ai eu de cesse que de remettre à plus tard sa lecture. J’ai réparé cette erreur en dévorant la vingtaine de chapitres qui composent ce seinen, devenu un classique de l’horreur.
You spin me round
Ce manga pullule de cercles, d’hélices, de volutes, de siphons, de torsades, de colimaçons, de tourbillons, de cyclones. Ça tourbillonne, ça tournoie, ça se tortille et ça vous enroule. Junji Itô s’amuse avec le pattern de la spirale pour vous aspirer dans un monde glauque et effroyable, à travers le personnage de Kirie Goshima, à qui il fait vivre les pires monstruosités. Cette jeune lycéenne vit à Kurouzu, une petite ville de mille habitants qui semble enclavée, quasiment isolée, proche de la mer et des montagnes. Dans le premier chapitre, le père de son petit ami (Shuichi) est obnubilé par l’observation d’objets présentant des formes circulaires. Son obsession est telle qu’il ne peut s’empêcher de les rassembler chez lui, saturant l’espace de son domicile avec cette collection effrénée… Mais cette étrange lubie n’est que le début d’une longue descente dans l’horreur.
Inspiré par l’artiste irlandais Harry Clarke (qui illustrait les romans d’Allan Edgar Poe) et par H.P. Lovecraft durant son adolescence, Junji Itô exerce d’abord le métier de technicien dentaire avant de devenir mangaka professionnel. Spirale est publiée alors entre 1998 et 1999 et constitue la seconde œuvre de Junji Itô, après Tomie. Au fil des épisodes, le trait de l’auteur s’affine et gagne en élégance, alors que les atrocités dessinées sont de plus en plus grotesques et affreuses.
Il ne faudrait pas réduire Spirale à une simple succession de récits du registre gore les uns à la suite des autres, même si le séquençage des premiers chapitres (dotés parfois d’une fin abrupte) pourrait donner cette impression. Au fil du récit, certaines éléments se raccordent et s’assemblent. Étrangement, Kirie traverse les épisodes et semble restée mentalement stable alors qu’elle est confrontée aux abominations que lui réserve Junji Itô : des lycéens se transforment en gastéropodes abjects, deux jeunes amoureux inséparables mutent en reptiles enchevêtrés, une jeune élève se voit dotée d’une chevelure tentaculaire, un camarade mort accidenté bondit hors de sa tombe, des femmes enceintes deviennent avides de sang et leurs progénitures ne semblent être pas que de simples poupons… Le mangaka plonge les personnages dans une terreur morbide, malmène les corps dans des postures contre-nature et tous ces événements surnaturels, suscitant la répulsion, semblent être provoqués par ces spirales malsaines.
L’ombre de Lovecraft n’est pas loin. Le village proche de la mer pourrait rappeler sans aucun doute Dunwich et ses habitants qui semblent victimes d’une force cosmique les dépassant. Car au-delà des chocs visuels des scènes d’horreur, Junji Itô distille une ambiance poisseuse. Surtout, il illustre la chute dans la démence et la terreur provoquées par l’ensemble des mystères indicibles et des forces effrayantes bouleversant le site de Kurouzu et ses alentours (le ciel tourmenté, l’étang aux libellules, l’étrange phare… qui a certainement inspiré à son tour Jeff Vandermeer).
Ne traînez pas autant que moi et laissez-vous happer par l’univers effrayant de Spirale !
Références
Spirale – Junji Itô
publié par Delcourt Tonkam